Martinique | Entretiens

Entretien avec François-Xavier Bourges

François-Xavier Bourges endosse la responsabilité, depuis août dernier, du commandement de la gendarmerie en Martinique. Il est l'un des premiers fonctionnaires, concernés dans la lutte contre les phénomènes de violences, et d'insécurité routière. Il a répondu à DOMactu.
[ Samedi 23 déc. 2006, 10:00 | DOMactu.com | Par Frédérique Laurent ]

DOMactu : Vous êtes le nouveau patron des gendarmes depuis août dernier, mais les martiniquais ne vous connaissent pas vraiment, présentez vous aux lecteurs de DOMactu ?

FXB : Je pense qu'ils ont déjà eu l'occasion de me voir sur les chaines locales. En terme de présentation, je suis marié, père de 3 enfants, deux sont en métropole, ils sont grands ils poursuivent leurs études, comme de nombreux jeunes de la Martinique. J'ai une fille de quatorze ans qui vit avec nous, et mon épouse est professeur des écoles, elle sert aussi la population martiniquaise mais dans le cadre de l'éducation nationale. Pour ma part, ma formation initiale, j'ai fait l'école de Saint-Cyr, l'école spéciale militaire en 1980-82, et ensuite j'ai mené une carrière en gendarmerie qui m'a emmené sur des postes de terrain en gendarmerie mobile. J'ai eu l'occasion d'aller en Nouvelle Calédonie, de faire un séjour opérationnel au Liban, j'ai commandé une compagnie de gendarmerie départementale dans l'est de la France, celle de Molsheim, de 1987-90, ensuite j'ai connu toute une phase de travail d'Etat major, avec des postes très intéressants qui m'ont amené à travailler notamment dans le domaine international, d'où mon dernier poste que j'ai quitté il ya quelques mois, était à Bruxelles où j'étais conseiller justice aux affaires intérieurs auprès de l'ambassadeur à l'Union européenne. Vous voyez c'était un travail très dans une sphère politico-diplomatique. J'ai personnellement demandé à reprendre un commandement de terrain et qui plus est dans l'Outremer. La Martinique était vraiment le choix que j'avais fait pour venir retrouver toute cette plénitude de commandement, retrouver aussi le service public pour nos concitoyens.

DOMactu : Quel regard portez-vous sur la Martinique et le travail que vous aurez à y effectuer ?

FXB : C'est un regard à la fois observateur et acteur. Observateur dans la mesure où, pour planifier et programmer mon travail, j'ai besoin d'attaquer une démarche d'analyste stratégique, essayer de voir quels sont les déséquilibres de cette société. Quels sont les phénomènes de fond qui se passent, je mentionnerai de suite, un des phénomènes très importants pour moi, celui des violences exercées contre les femmes, les violences conjugales, les violences familiales qui s'exercent contre les enfants et les mineurs. Donc partant de cette analyse, ma deuxième démarche est bien sur celle d'acteur avec l'ensemble de mon personnel. Essayer de voir, répondre dans un créneau d'espace et de temps à ces différents phénomènes que nous ressentons : insécurité routière, vol à main armée, cambriolage, atteinte contre les personnes. Là encore une démarche très active qui nous permet d'assurer un niveau de sécurité pour nos concitoyens, qui certainement doit être encore amélioré mais qui est bon bien sur.

DOMactu : Quels sont vos rapports avec le préfet ? Nous savons que votre prédécesseur le Colonel Rutani a eu beaucoup de difficultés avec Yves Dassonville, sur la fin de son poste. Qu'en est-il pour vous ?

FXB : Mes relations avec lui sont très bonnes. Il est évident que mon action s'inscrit totalement dans la mise en ouvre des priorités gouvernementales, et le préfet y est très attaché bien sur. Lutte contre l'insécurité routière, lutte contre l'immigration illégale, lutte contre le phénomène de drogue, et également contre toutes les violences publiques. Et là effectivement, le travail avec le préfet est excellent, mais aussi avec le procureur général, avec le procureur de la république. Il y a un excellent travail de partenariat et un travail de direction mené par le préfet qui est vraiment très bon. L'entente est bonne et la confiance est totale, je vous l'assure !

DOMactu : Vous n'êtes pas sur le territoire depuis longtemps, mais avez-vous des éléments de réponse sur l'hécatombe sur nos routes ?

FXB : L'insécurité routière est certainement un des sujets de préoccupations les plus majeures. On a en Martinique une situation qui est extrêmement préoccupante. 743 accidents en 2006 contre 650 en 2005, un bilan de tués qui est encore en augmentation, 49 en 2005 et 55 en 2006. En sachant que les chiffres de 2006 que je vous donne, s'arrêtent au 30 novembre. L'explication elle est très simple elle tient aux comportements des usagers de la route. Si on essaie de ressortir une typologie de ces usagers : il y a la première population à laquelle je m'adresse avec le plus de sérieux, ce sont les jeunes de 14 à 18 ans, qui roulent dans des conditions extrêmement délicates, sans casque, avec des accidents qui immédiatement donneront le résultat que nous connaissons tous. Nous le voyons souvent avec le médecin légiste avec lequel nous travaillons. Il faut vraiment que ces jeunes prennent bien conscience que le casque est un élément primordial de sécurité quand on circule sur un deux-roues. Deuxième types de population à laquelle je m'adresse, ça va être les jeunes adultes. Le message que je leur donnerai, serait un message d'attention. Leur comportement n'est pas de temps en temps un comportement de modèle, fatalement on a l'impression que leur propre comportement quand ils ne portent pas le casque, zigzaguent entre les voitures, et quand ils commettent des excès de vitesse, ils donnent ainsi des idées aux plus jeunes. C'est un message de responsabilité que je veux leur adresser. Je ne veux pas stigmatiser, tous ne sont pas ainsi. Il y a des comportements qui sont déviationnistes, il y a par ailleurs d'autres comportements qui sont des comportements exemplaires.

DOMactu : Est-ce que vous ne pensez pas aussi qu'en Martinique, il n'y a plus la peur du gendarme ? Avant quand on croisait les gendarmes on ralentissait, on arrêtait ses bêtises, aujourd'hui ce n'est plus le cas ?

FXB : On peut parler d'une forme de déperdition par rapport à l'autorité, qui aujourd'hui est différente. C'est une question qui se pose pour toutes les formes d'autorité. Les parents dans les familles, leur autorité est-elle aussi prégnante ? Les enseignants arrivent-ils encore aujourd'hui à véritablement exercer leur autorité dans les meilleures conditions ? Pour les policiers, pour les gendarmes, pour les douaniers, nous sommes effectivement confrontés au même problème, qui est un phénomène sociétal. Là encore, l'équilibre est difficile à trouver, un gendarme doit être à la fois un acteur en terme de prévention, il doit aller au devant, il doit être à l'écoute c'est notamment vrai pour les jeunes. En Martinique, il y a une équipe dont s'est la charge, la Brigade de la prévention de la délinquance juvénile, qui doit aller au contact de ces jeunes et qui doit leur montrer que le premier respect commence d'abord pour eux-mêmes. Et à partir du moment, où ils auront du respect pour eux-mêmes, ils auront du respect pour leurs camarades, pour le garçon pour la fille qui est à côté d'eux. Sur le deuxième rôle du gendarme, celui de la prévention, là je pense que la peur existe encore. Je vais vous donner un exemple, dans le cadre d'une opération en partenariat avec l'Education Nationale, cette semaine, aux abords de la Cité scolaire de Frantz Fanon à Trinité, où nous avons contribué à sécuriser les abords. Nous avons récupéré des armes blanches : des cutters, des haches, des couteaux, sur des jeunes qui rentrent dans un établissement scolaire. Là encore, il y a un moment où cette peur du gendarme existe et où nous arrivons à faire notre travail bien évidemment.

DOMactu : Dernière question, vis-à-vis de tout ce que vous voyez (violence, insécurité), sincèrement vos derniers mots sur la société martiniquaise ?

FXB : C'est une société qui a certainement pour moi l'aspect d'un biface. Je découvre une société qui est festive, notamment en cette période de fin d'année, une société très dynamique, qui possède un enthousiasme certain, qui sont d'immenses qualités pour son développement. Le deuxième côté que je vois, c'est l'aspect un peu plus professionnel, je vois une société où les phénomènes de violence sont présents. Les phénomènes de recours à l'arme blanche ou l'arme à feu pour les règlements de différends sont fréquents. Ces recours-là m'inquiètent énormément, bien sur elle me préoccupe. Voilà des situations qui sont déstabilisantes pour la Martinique et sur lesquelles il faut travailler à l'aide de partenariat avec la gendarmerie.

Propos recueillis par Frédérique Laurent

Frédérique Laurent - DOMactu.com
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