Martinique | Entretiens

Entretien avec Juvénal Rémir, président du syndicat CODEMA


Juvénal Rémir
Juvénal Rémir est un professionnel agricole qu'on ne présente plus, il est un agriculteur martiniquais de la banane qui défend également les intérêts de la profession en présidant le syndicat du CODEMA-MODEF. Il s'est rendu à maintes reprises à Bruxelles et à Paris pour rapporter les difficultés de la filière banane, et il n'est pas réputé pour avoir sa langue dans sa poche. Suite à vos nombreuses remarques publiées sur le sort de la banane antillaise, DOMactu l'a rencontré pour vous.
[ Samedi 25 nov. 2006, 06:00 | DOMactu.com | Par Frédérique Laurent ]

DOMactu : Si vous deviez nous décrire un tableau de l'agriculture martiniquaise, que nous diriez vous ?

JR : Un tableau sombre, très sombre ! Et je fais partie de la Chambre d'agriculture ! C'est pour cela que Mr Vankatapen, mon secrétaire général et moi-même, nous avons décidé de ne plus nous rendre à ces séances. Nous constatons que dans cette structure, on parle beaucoup, mais il n'y a rien de concret qui se fait !  Je parle de tableau sombre, parce que quand on regarde toutes les structures agricoles à la Martinique, aucune ne fonctionne correctement ! Elles sont toutes sous perfusion, je prends par exemple, le cas de la Socomor, à l'intérieur ce sont des combats de chefs initiés par le grand syndicat de la Chambre d'Agriculture. Au bout de quatre ans, ce ne sont pas moins de trois présidents qui se sont succédés à la Socomor. Sous prétexte qu'on ne veuille pas qu'un béké soit président de cette structure. Ils ont joués aux cons ! Tout ça pour changer de président ! Résultat : on risque de pousser la Socomor à la liquidation. Moi, je suis administrateur de la Socopma, je vous dis que j'ai peur ! J'ai peur de ces présidents qui ne fichent strictement rien. Ca voyage, ça voyage tout le temps ! Qui paie les voyages, qui paie les hôtels, qui paie les repas ?  C'est nous, les agriculteurs ! Quand on regarde le problème du porc, ce n'est pas normal qu'en Martinique il nous ait manqué du porc en décembre dernier. Pour la viande, c'est pareil. Le problème de la tomate est pire. La tomate qui est vendue, provient de la Guadeloupe. Nous avons des ignames qui sortent du Costa Rica, nous avons des fleurs qui sortent de Colombie alors que l'on dit " Martinique, île aux fleurs ". On me fait rigoler ! Les christophines viennent de France, et les ignames du Loir et Cher ? Pourquoi ? C'est parce qu'il n'y a pas une vraie politique de diversification et de planification de l'agriculture. Il faut faire les Etats généraux de l'agriculture en Martinique, parce que nous allons dans le mur ! Vous savez la banane ce n'est pas facile, c'est  très dur, tant qu'il n'y aura pas de rigueur dans le fonctionnement des structures, ça ne marchera pas. C'est d'ailleurs ce que j'ai demandé au Ministère de l'agriculture, il faut contrôler les structures parce que nous constatons que les responsables de toutes les structures en général à la Martinique ne fonctionnent pas parce que ces messieurs sont frappés d' " avionite  ". Ces messieurs sont tous les quinze ou vingt-deux jours à la Barbade ou ailleurs. Ils voyagent en première classe, quand ils sont à Paris ils ne vont pas dans n'importe quel hôtel.

DOMactu : Mais est ce que, selon vous, ce n'est pas parce que l'agriculture en Martinique, est  trop subventionnée ?

JR : L'agriculture n'est pas trop subventionnée, il n'existe pas d'agriculture qui ne soit pas subventionnée ! Mais pour moi, il faut qu'elle soit raisonnable et raisonnée. Il faut que l'on contrôle ce que l'on fait avec cet argent. C'est dur à dire, mais tant qu'il n'y a pas de contrôle, il y aura toujours des dérives.

DOMactu : Donc c'est bien cela les subventions sont versées, mais il n'y a pas de résultat derrière, puisqu'il n'y a pas de contrôle? C'est ce que vous dénoncez ?

JR :  Je ne le vois pas le résultat derrière mais tout métier doit être professionnalisé. Aujourd'hui, nous savons que dans le secteur de la banane devient de plus en plus difficile. J'ai été très content quand j'ai entendu Mme Fischer Boel dire qu'elle veillera à savoir à quoi servira chaque centime versé ! Parce que c'est l'argent du contribuable ! Mais il y en a certains qui pleurent parce que c'est leur fond de commerce. Notre rôle d'agriculteur ce n'est pas d'être dans la rue ! Quand j'entends des gens parler de nous, professionnels de la  banane, les mots sont durs. Ils ne croient plus en nous, et c'est  vrai ! Ils nous critiquent parce que nous roulons en 4x4, mais si on n'a pas de voiture équipée ou utilitaire pour faire notre travail, on n'arrive pas !

DOMactu : Si je comprends bien,  selon vous, c'est à cause de planteurs qui agissent n'importe comment, que la toute la profession est entachée ? Beaucoup de nos lecteurs disent qu'il faut arrêter la banane, qu'en pensez-vous ?

JR : Il ne faut pas non plus jeter de l'huile sur le feu ! Arrêter la banane ? Moi je dis qu'il ne faut pas le dire. Si on arrête la banane en Martinique, ça sera la misère ! Je prends un exemple, une bouteille d'huile coûte aujourd'hui un euro, et bien elle va coûter 10 euros. Les habits vont coûter excessivement chers eux aussi. Il ne faut même pas y penser, mais il faut que les agriculteurs en général se mettent au travail sérieusement pour que la population ait encore plus confiance en nous.  Pour l'heure, la population nous voit très mal.

DOMactu : Vous n'avez jamais pensé à aucun moment faire autre chose que de la banane ?

JR :  Sur le petit terrain que j'ai de 9 hectares, quand j'ai commencé dans la profession, je cultivais des choux de chine. J'avais 3 hectares de choux de chine plus précisément. Quand on a parlé du chloredécone, j'ai été très atteint, on a contrôlé ma terre positif par ce pesticide. Je peux vous dire, il n'y avait pas encore d'analyse, j'ai pu vendre puisque je faisais de la diversification choux de chines, patate douce et autres. Aujourd'hui, avec les sols  pollués, on ne peut pas aller vers d'autres cultures, à part si l'on a des terrains propres.  Mais la majeure partie des terrains en Martinique sont contaminés. Si ce n'est pas de la banane qu'on fera c'est de la canne, mais comme je vous ai dit il faut que les choses soient faites sérieusement.

Propos recueillis par Frédérique Laurent.

Frédérique Laurent - DOMactu.com
Les commentaires ne sont plus disponibles pour les articles de plus de 21 jours